dimanche 20 juillet 2008

Vae Victis ?

Comme à chaque élection présidentielle, certains analystes essaient d'envisager les conséquences que la défaite pourrait avoir sur le parti qui la subira. D'autres, plus audacieux, émettent l'hypothèse que la défaite pourrait avoir des effets positifs pour le parti qui la subira, et que la victoire de son adversaire pourrait bien n'être qu'un cadeau empoisonné.

Russ Stewart prévoit ainsi, en cas de victoire de John McCain, une véritable "extinction" du parti républicain et un réalignement démocrate. Plus modéré, Stuart Rothenberg estime simplement qu'une présidence McCain serait "un cauchemar" pour le GOP : le candidat républicain entrerait rapidement en conflit avec les conservateurs et chercherait plutôt le soutien des démocrates modérés, divisant son parti. Les deux sont en tout cas d'accord sur un point : le vainqueur de 2008 sera le perdant de 2012. Les défis seront tellement immenses pour le nouveau Président qu'il perdra immanquablement une partie de son crédit et sera vraisemblablement balayé par son adversaire.

Entendons-nous bien : pour un parti politique en campagne, la victoire est toujours l'objectif. Il est douteux que de nombreux républicains espèrent secrètement la victoire de Barack Obama pour des motifs purement stratégiques. En 2000, certains démocrates amers se consolaient en estimant que, au vu de l'incompétence supposée de la nouvelle administration et des difficultés économiques qui se profilaient à l'horizon, la victoire à l'arraché de George Bush serait bénéfique à leur parti, qui n'aurait aucun mal à remporter la majorité au Congrès lors des élections de 2002, puis à revenir à la Maison Blanche en 2004. On a vu ce qu'il en a été...

Reste que la défaite de Barack Obama serait à mon avis une catastrophe pour le parti démocrate, alors que le GOP pourrait tirer quelque avantage de l'échec de son candidat.

Incontestablement, les républicains sortent épuisés de ces huit ans d'administration Bush, et ils ont besoin d'un "changement d'image". En effet, on assiste à l'émergence d'une nouvelle génération beaucoup moins réceptives que les précédentes au conservatisme social (voir notamment les enquêtes du Pew et de CBS/NYT), et beaucoup plus critique envers la gestion de la guerre en Irak et plus globalement de la guerre contre le terrorisme. Un renouvellement, même partiel, du corpus idéologique républicain ne sera pas de trop pour parvenir à attirer les votes des 18-29 ans, cette génération perdue pour le parti républicain. Autant une victoire aurait peut-être pour conséquence de masquer l'existence de ces problèmes, autant une défaite les mettrait clairement à jour, même si elle ne garantirait en rien leur résolution.

La situation est différente chez les démocrates. Si Barack Obama perdait, le risque d'une véritable guerre civile interne au parti de l'âne n'est pas à exclure. Les gains que le parti obtiendra sans l'ombre d'un doute au Congrès seront totalement masqués par les querelles internes a propos de la responsabilité de la défaite. Barack Obama et Hillary Clinton ont des positions politiques très proches. Mais leurs supporters, eux, étaient très différents : au Sud, blancs contre noirs; au nord-est, blancs pauvres contre élites libérales (jeunes, urbains, diplômés) et noirs; au sud-ouest, blancs pauvres et hispaniques contre élites libérales; et au nord-ouest, blancs pauvres contre blancs riches. Au final, on retrouve avec deux partis démocrates très différents : d'un côté, le parti qui a voté pour Hillary Clinton, une gauche ouvrière et populiste, sorte de réminiscence du parti populiste des années 1890. De l'autre côté, le parti de Barack Obama, une gauche intellectuelle et plus axée sur les questions sociétales qu'économiques. Sans doute la parti apparait aujourd'hui uni, mais nul doute qu'en cas de défaite, les deux camps s'accuseront mutuellement d'être responsables de l'échec. Et après 8 ans hors de la Maison Blanche, et alors que la conjoncture était insolemment favorable aux démocrates, la bataille pourrait être violente.

Et qui sait ? Si les leaders du parti prenaient conscience de la division de l'électorat démocrate et décidaient d'en jouer afin de reprendre la main sur la "machine", si en plus le Président McCain parvenait à utiliser ses divisions internes pour faire passer son programme au Congrès et bloquer l'agenda démocrate, alors on pourrait assister à la naissance d'un véritable tiers-parti virtuel au Congrès.

C'est naturellement là une hypothèse extrême, mais le parti démocrate est sans doute plus divisé que le parti républicain. Lors des élections de mi-mandat de 2006, le parti de l'âne a pris au GOP les circonscriptions occupées par des républicains modérés au nord-est (New York, Pennsylvanie, Connecticut), et dans le même temps, il emportait quelques sièges dans le Sud grâce au recrutement de candidats modérés, voire conservateurs. Ainsi, alors que le GOP devanait de plus en plus conservateur en perdant quelques uns de ses rares élus modérés, le parti démocrate devenait plus hétérogène, en gagnant des élus libéraux comme des élus conservateurs. Et cette tendance s'est poursuivie avec les victoires des démocrates conservateurs Don Cazayoux en Louisiane et Travis Childers dans le Mississippi durant le printemps 2008. En novembre prochain, les victoires attendues de l'ancien Gouverneur Mark Warner pour le siège de Sénateur de Virginie et de Jay Nixon pour le siège de Gouverneur du Missouri, auxquelles s'ajouteront probablement des victoires démocrates dans des sièges à la Chambre des Représentants en Virginie et en Alabama accroitront encore cette progression des démocrates modérés voire conservateurs au sein du parti.

Pas de surprise dans cette évolution : plus un parti est majoritaire, plus il est divisé.

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