mardi 22 juillet 2008

Quel avenir pour Joe Lieberman ?

Joe Lieberman a été un des acteurs marquant de le vie politique américaine de ces dix dernières années. Sénateur modéré du Connecticut depuis 1988, il a été un des critiques les plus sévère de Bill Clinton au sein de son camp pendant l'affaire Lewinsky, avant d'être le colistier de Al Gore lors de l'élection présidentielle de 2000. De plus en plus en porte à faux avec les positions de son parti concernant la guerre en Irak et, plus globalement, la lutte contre le terrorisme, il tente vainement sa chance lors des primaires présidentielles de 2004.

Lors de sa campagne de réélection pour le Sénat en 2006, il est battu lors des primaires par l'entrepreneur Ned Lamont, mais décide de se présenter malgré tout en tant que candidat indépendant. Il parvient néanmoins à l'emporter nettement, grâce à l'appoint des voix modérées et conservatrices et choisit alors de siéger en tant qu'"Indépendant Démocrate". Les démocrates, n'ayant obtenu la majorité au Sénat que d'une voix, pour être certain qu'il reste au sein de leur groupe, sont dans l'obligation de lui céder la présidence du comité à la sécurité intérieure et aux affaires gouvernementales en vertu du principe de seniority et de lui accorder une totale liberté de vote à la condition qu'il se range avec ces collègues démocrates sur les votes procéduraux.

Joe Lieberman n'est pas devenu conservateur pour autant. En effet, comme le montrent Keith Poole et Howard Rosenthal dans une étude consacrée à un tout autre sujet, Joe Lieberman, s'il se situe clairement dans l'aile centriste du parti de l'âne, est loin d'être le plus conservateur des élus démocrate. L'analyse des votes des Sénateurs en 2007 montre même qu'il est assez prêt du centre du parti, étant le 31ème Sénateur le plus libéral sur 51 élus démocrates : 20 de ses collègues sont plus à droite que lui, 30 plus à gauche. Et on peut même penser qu'en dehors des questions liées à la politique étrangère, l'élu du Connecticut est particulièrement libéral, car il est un des seuls démocrates à voter avec les républicains sur cet enjeu.

Mais Joe Lieberman restera-t-il un acteur majeur de la vie politique américaine après l'élection de novembre prochain ? En donnant son appui à John McCain en décembre 2007, il a en effet franchit un pas qui pourrait être préjudiciable à son avenir politique.

Si John McCain l'emporte, et s'il ne le désigne pas comme son colistier, il y a fort à parier qu'il y aura un poste dans la nouvelle administration pour Joe Lieberman. Le candidat républicain a déjà laissé entendre qu'il pourrait ainsi devenir Secrétaire d'État en remplacement de Condoleezza Rice, et son avenir ne passerait plus par le Sénat.

Mais si Barack Obama était élu, ou si John McCain n'offrait finalement pas de poste au Sénateur du Connecticut, ce dernier resterait au Sénat où sa position politique pourrait devenir difficile. Les démocrates ont en effet de grande chances d'accroitre leur domination en emportant un siège en Virginie et un au Nouveau Mexique. Et les sièges du New Hampshire, du Colorado, de l'Alaska et du Mississippi sont eux aussi prenable. Le parti de l'âne peut donc raisonnablement espérer une majorité de 55 à 57 sièges à l'ouverture du prochain Congrès.

Dans ces conditions, la voix de Joe Lieberman ne serait plus aussi indispensable aux démocrates qu'aujourd'hui. Pourtant, ils pourraient estimer que puisque le Sénateur est en phase avec le parti sur la plupart des questions, il serait plus profitable de se boucher le nez et de lui accorder la présidence de son comité plutôt que de risquer de la lui enlever, ce qui pourrait le faire tomber dans les bras des républicains et donc à voter plus souvent dans un sens conservateur.

L'avenir de Joe Lieberman dépendra sans doute de l'intensité de son engagement en faveur de John McCain. Les tensions se sont accrues au fur et à mesure de la campagne entre le Sénateur et ses collègues démocrates. Si il continue de s'en prendre violemment aux positions de Barack Obama, s'il délivre un discours à la Convention républicaine de Saint-Paul, il pourrait suffisamment heurter les leaders de la majorité démocrate au Congrès pour qu'ils se décident à le chasser de la Présidence du comité, malgré les difficultés politiques qui risquent de s'ensuivre.

Toutefois, le plus grand danger pour Joe Lieberman serait que John McCain l'emporte en novembre et ne lui propose pas de poste dans son administration. Les démocrates auraient alors toutes les chances de reporter leur colère sur lui, d'autant plus qu'ils seraient plus soucieux de disposer de comités sûrs. Plus sûrement, en tout cas, que si Barack Obama devient le 44ème Président.

dimanche 20 juillet 2008

Vae Victis ?

Comme à chaque élection présidentielle, certains analystes essaient d'envisager les conséquences que la défaite pourrait avoir sur le parti qui la subira. D'autres, plus audacieux, émettent l'hypothèse que la défaite pourrait avoir des effets positifs pour le parti qui la subira, et que la victoire de son adversaire pourrait bien n'être qu'un cadeau empoisonné.

Russ Stewart prévoit ainsi, en cas de victoire de John McCain, une véritable "extinction" du parti républicain et un réalignement démocrate. Plus modéré, Stuart Rothenberg estime simplement qu'une présidence McCain serait "un cauchemar" pour le GOP : le candidat républicain entrerait rapidement en conflit avec les conservateurs et chercherait plutôt le soutien des démocrates modérés, divisant son parti. Les deux sont en tout cas d'accord sur un point : le vainqueur de 2008 sera le perdant de 2012. Les défis seront tellement immenses pour le nouveau Président qu'il perdra immanquablement une partie de son crédit et sera vraisemblablement balayé par son adversaire.

Entendons-nous bien : pour un parti politique en campagne, la victoire est toujours l'objectif. Il est douteux que de nombreux républicains espèrent secrètement la victoire de Barack Obama pour des motifs purement stratégiques. En 2000, certains démocrates amers se consolaient en estimant que, au vu de l'incompétence supposée de la nouvelle administration et des difficultés économiques qui se profilaient à l'horizon, la victoire à l'arraché de George Bush serait bénéfique à leur parti, qui n'aurait aucun mal à remporter la majorité au Congrès lors des élections de 2002, puis à revenir à la Maison Blanche en 2004. On a vu ce qu'il en a été...

Reste que la défaite de Barack Obama serait à mon avis une catastrophe pour le parti démocrate, alors que le GOP pourrait tirer quelque avantage de l'échec de son candidat.

Incontestablement, les républicains sortent épuisés de ces huit ans d'administration Bush, et ils ont besoin d'un "changement d'image". En effet, on assiste à l'émergence d'une nouvelle génération beaucoup moins réceptives que les précédentes au conservatisme social (voir notamment les enquêtes du Pew et de CBS/NYT), et beaucoup plus critique envers la gestion de la guerre en Irak et plus globalement de la guerre contre le terrorisme. Un renouvellement, même partiel, du corpus idéologique républicain ne sera pas de trop pour parvenir à attirer les votes des 18-29 ans, cette génération perdue pour le parti républicain. Autant une victoire aurait peut-être pour conséquence de masquer l'existence de ces problèmes, autant une défaite les mettrait clairement à jour, même si elle ne garantirait en rien leur résolution.

La situation est différente chez les démocrates. Si Barack Obama perdait, le risque d'une véritable guerre civile interne au parti de l'âne n'est pas à exclure. Les gains que le parti obtiendra sans l'ombre d'un doute au Congrès seront totalement masqués par les querelles internes a propos de la responsabilité de la défaite. Barack Obama et Hillary Clinton ont des positions politiques très proches. Mais leurs supporters, eux, étaient très différents : au Sud, blancs contre noirs; au nord-est, blancs pauvres contre élites libérales (jeunes, urbains, diplômés) et noirs; au sud-ouest, blancs pauvres et hispaniques contre élites libérales; et au nord-ouest, blancs pauvres contre blancs riches. Au final, on retrouve avec deux partis démocrates très différents : d'un côté, le parti qui a voté pour Hillary Clinton, une gauche ouvrière et populiste, sorte de réminiscence du parti populiste des années 1890. De l'autre côté, le parti de Barack Obama, une gauche intellectuelle et plus axée sur les questions sociétales qu'économiques. Sans doute la parti apparait aujourd'hui uni, mais nul doute qu'en cas de défaite, les deux camps s'accuseront mutuellement d'être responsables de l'échec. Et après 8 ans hors de la Maison Blanche, et alors que la conjoncture était insolemment favorable aux démocrates, la bataille pourrait être violente.

Et qui sait ? Si les leaders du parti prenaient conscience de la division de l'électorat démocrate et décidaient d'en jouer afin de reprendre la main sur la "machine", si en plus le Président McCain parvenait à utiliser ses divisions internes pour faire passer son programme au Congrès et bloquer l'agenda démocrate, alors on pourrait assister à la naissance d'un véritable tiers-parti virtuel au Congrès.

C'est naturellement là une hypothèse extrême, mais le parti démocrate est sans doute plus divisé que le parti républicain. Lors des élections de mi-mandat de 2006, le parti de l'âne a pris au GOP les circonscriptions occupées par des républicains modérés au nord-est (New York, Pennsylvanie, Connecticut), et dans le même temps, il emportait quelques sièges dans le Sud grâce au recrutement de candidats modérés, voire conservateurs. Ainsi, alors que le GOP devanait de plus en plus conservateur en perdant quelques uns de ses rares élus modérés, le parti démocrate devenait plus hétérogène, en gagnant des élus libéraux comme des élus conservateurs. Et cette tendance s'est poursuivie avec les victoires des démocrates conservateurs Don Cazayoux en Louisiane et Travis Childers dans le Mississippi durant le printemps 2008. En novembre prochain, les victoires attendues de l'ancien Gouverneur Mark Warner pour le siège de Sénateur de Virginie et de Jay Nixon pour le siège de Gouverneur du Missouri, auxquelles s'ajouteront probablement des victoires démocrates dans des sièges à la Chambre des Représentants en Virginie et en Alabama accroitront encore cette progression des démocrates modérés voire conservateurs au sein du parti.

Pas de surprise dans cette évolution : plus un parti est majoritaire, plus il est divisé.

mercredi 16 juillet 2008

Tube de l'été

Après Nancy Sinatra et Lee Hazlewood qui avaient inspiré le titre de mon dernier post, voilà une autre version estivale de cette folie des sondages, tirée cette fois de Grease, et trouvée sur le forum du David Leip's Atlas of U.S. Presidential Elections.

Summer polling, it will not last!
Summer polling, it will soon pass!
Saw a poll, made me crazy!
In Wyoming, Obama +3!
Summer fun, is halfway done.
But Oh, oh the summer polls!
Whoa! Whoa! Whoa!

Poll AL, Poll UT
Will McCain win MA?
Poll IL, Poll MD
He's up 5 there today!

Come September, thats when it ends
By October, they'll be new trends
Then we'll know, who'll likely win
And we'll look, back with a grin

Idaho, not even close
Bu-hut, oh
Those su-hummer pooooooooo-ooooooooooools
Poll OK, Poll CAAA-aaa-A-a-A!

mercredi 2 juillet 2008

My summer poll is really made from all this things

Les sondages sont-ils fiables ? Réponse : plus ou moins.

Et les sondages réalisés durant l'été ? Réponse : un peu moins que plus ou moins.

Tous les quatre ans, les Etats-Unis sont en campagne pour la présidentielle, ce qui donne lieu à une multitude de sondage. Or, certains analystes on pu noter deux particularités aux sondages réalisés pendant l'été. Tout d'abord, on constate une très grande variabilité entre les résultats des différents instituts (mais est-ce vraiment spécifique à la période estivale ?). Et surtout, on observe que le candidat républicain est généralement sous-estimé de quelques points (entre 3 et 5) pendant cette saison (en 2004, le candidat démocrate, John Kerry, semblait quant à lui sous-estimé durant le mois de novembre, mais cela semble être propre à cette élection seulement).



Pourquoi ? Dès 1980, Louis Harris expliquait cette anomalie apparente par un fait bien simple : les électeurs républicains sont plus âges et plus riches que les démocrates, ils voyagent donc plus, sont moins susceptibles d'être chez eux durant les mois d'été, et ils ne peuvent donc pas répondre aux appels téléphoniques des instituts de sondage. Puisque, contrairement à une idée répandue, le comportement électoral des riches et des pauvres n'a pas spécialement changé depuis la New Deal (voir ici, , et bientôt ), ce modèle n'a guère de raison d'être périmé aujourd'hui.

Bien entendu, moins la méthodologie de l'institut est de bonne qualité, plus le pourcentage du candidat républicain sera sous-estimé, et inversement. La plupart des "mauvais" sondeurs utilisent une méthode contestée, celle du random digit dialing : un ordinateur tire au hasard un numéro de téléphone à appeler. Cette technique présente bien des problèmes au premier rang desquels la question de la représentativité de l'échantillon. Si durant l'été les républicains sont moins facilement joignables que les démocrates, alors l'échantillon est faussé.

En principe, un bon institut rappellera le numéro injoignable, mais quand on sait que les médias préfèrent utiliser les services des sondeurs aux techniques les moins onéreuses, et que ceux-ci préfèrent faire vite (et donc ne pas prendre le temps de rappeler les personnes absentes de leur domicile à plusieurs reprises), on comprend que le biais ainsi induit n'est pas sans conséquences.

Imaginons un exemple extrême pour illustrer cet effet. Dans la ville de Green Bay, Wisconsin (220,000 habitants), un référendum est organisé au sujet de la construction d'un nouveau stade pour l'équipe de football américain locale, les Packers. Un institut de sondage décide de conduire une enquête, mais choisit de la mener le jour où les Packers jouent à domicile au Lambeau Field, dont la capacité est de 72,000 place. Admettons que 50,000 habitants de Green Bay décident d'aller voir le match, prêt d'un quart de la population de la ville est alors injoignable par téléphone. Bien entendu, l'échantillon recueillit par le sondeur sera très différent de la réalité de la population de la ville. Toute proportion gardée, c'est le même effet qui joue sur les sondages réalisés pendant l'été.

Bref, avec Barack Obama à 5,4 points d'avance sur John McCain selon RealClearPolitics, ce dernier n'a - pour l'instant - pas trop à s'inquiéter. Les deux candidats sont à égalité.